L’HFR démystifie les soins palliatifs

La Gruyère a suivi la table ronde organisée par le Centre de santé du Sud fribourgeois sur le thème : « Les soins palliatifs, entre mythe et réalité ». La cheffe de clinique Camilla Janett et l’infirmière clinicienne Salomé Wicht éclairent ce domaine si particulier.

Pourquoi avoir choisi de travailler dans ce domaine plutôt qu’un autre?

Salomé Wicht: C’est un joyeux hasard! A mes débuts, j’ai eu l’occasion de travailler aux soins palliatifs de l’HFR pendant trois mois. C’était pour moi l’occasion de susciter d’autres opportunités… en l’occurrence celle d’y rester douze ans! L’accompagnement a du sens, on a souvent des retours positifs. Pour continuer en tant que soignant, aux soins palliatifs ou ailleurs, c’est important. Un simple merci, ce n’est pas rien, et il faut savoir l’entendre et le prendre.

Camilla Janett: Ma belle-mère, décédée à la maison d’un cancer, a bénéficié d’une intervention des soins palliatifs qui était juste génialissime. Puis, en tant que médecin, j’ai eu l’occasion de faire une rotation de six mois à la Villa Saint-François, à Villars-sur-Glâne, où j’ai notamment été séduite par le cadre. Ça paraît être un détail, mais c’est important. On parle toujours de la qualité de vie des patients, mais celle des soignants compte aussi pour pouvoir bien prendre soin de l’autre.

Comment gérez-vous la confrontation à la mort, à la souffrance, au deuil?

C. J.: La mort est notre pain quotidien, c’est vrai. Ne pas être seul est central pour moi. On vit tout cela en équipe, chacun peut poser ses limites et exposer ses difficultés. On a le droit de pleurer, d’être fâché, on se sent accueilli comme personne et comme professionnel, l’un et l’autre ne sont pas en conflit.

S. W.: Il y a aussi le côté interdisciplinaire: on n’est pas seul à prendre une décision, chacun apporte son expertise, y compris les patients et leurs proches.

La prise en charge du patient est-elle différente en soins palliatifs?

C. J.: Idéalement, elle ne devrait pas l’être. La médecine devrait toujours servir le projet de vie du patient. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. On entend des gens regretter de ne pas avoir été écoutés, de ne pas avoir pu prendre le temps d’exposer leurs priorités. En soins palliatifs, on ne peut pas travailler sans cela, c’est peut-être la différence. Ces frustrations sont par ailleurs aussi exprimées par les professionnels de la santé.

S. W.: En médecine, tout va tellement vite, on attend des performances. Les soignants font ce qu’ils peuvent avec le temps qu’ils ont… Mais le patient devrait aussi être estimé comme expert de sa santé pour que, ensemble, nous convergions vers un but et un projet communs.

Tout à l’heure, vous avez parlé des soins palliatifs comme d’un domaine en expansion. Qu’entendez-vous par là?

C. J.: Avec cette volonté d’implanter les soins palliatifs de plus en plus précocement, des collaborations s’ouvrent avec les autres services. On peut être invité pour aider à l’identification des situations palliatives ou pour des formations. Il faut maintenant consolider ces ouvertures: la démystification des soins palliatifs auprès des professionnels est un travail continu, parce qu’ils sont alors confrontés à ce qui est malheureusement encore perçu comme un échec de la médecine – le fait qu’un patient ne guérisse pas.

La mort comme un échec serait aussi un mythe?

C. J.: C’est peut-être le résultat d’un trop grand optimisme placé dans les progrès de la médecine. Certes, les progrès existent, et heureusement! Mais certains placent tous leurs espoirs dans cette idée et cela dessert l’acceptation de la mort. On entend parfois les frustrations des patients: «Pourquoi je dois être l’exception et mourir?» «Pourquoi je ne peux pas guérir, alors que j’entends qu’il y a tellement de choses incroyables qui se développent?»

S. W.: Une étude a par ailleurs démontré que la majorité des patients sont reconnaissants de pouvoir parler de la mort si on leur ouvre la porte. Malheureusement, les soignants n’ont pas forcément les clés pour aborder ce sujet si délicat. Ils ont peut-être peur de mettre les pieds dans le plat.

Cela s’apprend, à parler de la mort?

S. W.: Personnellement, j’ai appris sur le terrain.

C. J.: Moi aussi, et c’est un sujet passionnant! Parce qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas prêtes, mais il y en a aussi beaucoup qui le sont. Et ce sont elles qui vont vous apprendre des choses. Ce sont souvent de très belles discussions. Parler de la mort, c’est aussi parler de la vie.

Y aurait-il des progrès à faire au niveau de la formation?

S. W.: C’est une volonté de notre part de dégager du temps pour former les équipes. Au niveau cantonal, il y a d’ailleurs des mandats pour sensibiliser les soignants de tous horizons aux soins palliatifs.

C. J.: Il y a très peu d’heures de soins palliatifs dans les études de médecine. Les jeunes médecins sont surpris de voir combien ils sont confrontés à la fin de vie, ils sont parfois démunis. Mais il y a aussi de jolies choses qui se font: à l’hôpital de Riaz, par exemple, une formation de soins palliatifs assez intense est proposée en médecine interne.

Le suicide assisté est-il aussi une thématique abordée dans le cadre des soins palliatifs?

C. J.: On thématise volontiers, notamment parce que l’on reçoit beaucoup de patients inscrits à Exit qui vont aborder le sujet. Cela permet aussi de considérer les alternatives existantes ainsi que la qualité de vie et les éléments de souffrances de la personne.

S. W.: Dans tous les cas, nous allons continuer de prendre soin de ces personnes jusqu’au bout, bien que le geste final ne se fasse pas entre nos murs. Cela pour éviter les amalgames entre soins palliatifs et suicide assisté. Nous prônons la vie jusqu’au bout, sans accélérer ou ralentir le processus de fin de vie.

La Villa Saint-François, Pallia-Vie, Voltigo… Est-ce qu’il faudrait davantage de structures?

C. J.: Nous avons souvent une liste d’attente et nous arrivons généralement à accueillir les personnes qui ont besoin de soins palliatifs spécialisés, en priorisant selon l’urgence. L’association européenne de soins palliatifs préconise un nombre de 100 lits spécialisés par million d’habitants: on serait en dessous de la cible. Ce qui est intéressant, et qui sera, nous l’espérons, bientôt planifié dans notre canton, c’est le renforcement du réseau de soins palliatifs généraux par le biais d’une formation continue des professionnels de la santé (hôpitaux, EMS, domicile), pour que les personnes puissent être suivies et accompagnées dans leurs lieux de soins habituels. Angie Daflon

La Villa Saint-François en chiffres

16 lits en soins aigus, ce qui comprend la réadaptation et l’accompagnement de fin de vie.

6 lits à la résidence.

70 collaborateurs, bénévoles inclus.

19 jours, soit la durée moyenne de séjour en 2023. AD

«On a à cœur d’amener beaucoup de vie»

Palliatif. «Il y a beaucoup de craintes associées à ce mot», a relevé Camilla Janett, jeudi soir. Des craintes, mais aussi des mythes, que la table ronde organisée au Centre de santé du Sud fribourgeois, à Riaz, visait à briser. Face à une trentaine de participants, la cheffe de clinique à la Villa Saint-François et Salomé Wicht (infirmière clinicienne à la Villa Saint-François) se sont attaquées à deux d’entre eux. L’image de mouroir dont est affublée la Villa Saint-François, d’une part. De l’autre, cette phrase qu’on leur lance parfois: «Les soins palliatifs? C’est trop tôt!»

Jannick Castella (infirmière au Réseau santé et social de la Gruyère) et Maurice Pilloud (infirmier à Voltigo) ont quant à eux opté pour une petite mise en scène autour des soins palliatifs ambulatoires et du maintien à domicile.

Démystifier commence par une définition. Celle de l’OMS en l’occurrence: «Il s’agit d’une approche pour améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, confrontés aux problèmes liés à des maladies potentiellement mortelles. Les soins palliatifs préviennent et soulagent grâce à la reconnaissance précoce, l’évaluation correcte et le traitement de la douleur et des autres problèmes, qu’ils soient d’ordre physique, psychosocial ou spirituel.»

Des soins qui peuvent se mêler à ceux visant à prolonger la vie. Des soins personnalisés, adaptés aux projets de vie du patient. Des soins parfois «précoces», pour éviter l’urgence. Un mouroir, la Villa Saint-François? Non, de par ses différentes missions. Certes, il y a l’accompagnement de fin de vie, mais aussi un accueil de jour, de la réadaptation, ou encore des consultations ambulatoires.

Surtout, le lieu se veut chaleureux et convivial. «On a à cœur d’amener beaucoup de vie», a souligné Salomé Wicht. Concerts, Saint-Nicolas, repas communautaires… Sans oublier Kit et Kat, les chats, accompagnés de tortues, poules et poissons. AD

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